"COURLANDE" DE JEAN-PAUL KAUFFMANN
La Courlande, pays de nulle part ? Longtemps occupée par les Soviétiques, interdite d'accès jusqu'en 1991, cette contrée des confins bordée par la mer Baltique surgit aujourd'hui intacte avec ses ciels infinis, ses forêts, ses plages désertes et ses châteaux en ruine détenus naguère par les barons baltes, descendants des chevaliers Teutoniques. Poursuivant une très ancienne histoire d'amour, Jean-Paul Kauffmann a succombé à l'attraction de cet ailleurs, dernière écluse entre le monde slave et le monde germanique. Ce récit de voyage est aussi une enquête sur la disparition : il s'agit de retrouver la trace d'une jeune Courlandaise, d'un chercheur de tombes, d'un monarque français... Retrouver aussi un pays, autrefois une anomalie historique, aujourd'hui à la recherche de son âme.
Biographie de l'auteur
Jean-Paul Kauffmann
est l'auteur, entre autres, de L'Arche des Kerguelen (1993), de La
Chambre noire de Longwood (1997) et de La Maison du retour (2007).
Cette fois-ci, c'est un billet double sur le même livre. Dang, mon complice du Web qui m'a fait redécouvrir JP Kauffmann, a écrit ce premier billet. Le mien suit. Je précise que nous l'avons écrit séparément sans copier l'un sur l'autre.(on ne truande pas chez moi :) ) Un grand merci Dang ! Thaïs
Depuis déjà bien des années, je me demande si Jean-Paul Kauffmann n’est pas l’un de nos meilleurs écrivains contemporains. On m’objectera qu’il faudrait d’abord s’entendre sur le terme « bon écrivain ». Pour moi, le grand écrivain est l’auteur que l’on retrouve toujours avec plaisir. Son style est comme une petite musique qui nous ravit. Aussi, et cela n’est pas la moindre de ses qualités, il a quelque chose à dire.
Kauffmann réunit à mes yeux toutes ces qualités. Son style est fluide, limpide, simple, reposant. Il n’a pas son pareil pour décrire les couleurs et, mieux encore, les odeurs. Dans la « Chambre noire de Longwood » il nous faisait sentir le bois fraîchement ripoliné. Dans « Courlande » il multiplie les descriptions olfactives. Il entre dans un château transformé en école et lui parvient de la cantine des effluves de charcuterie fumée et de désinfectant. Ailleurs, il est saisi par une indéfinissable odeur de feuilles mortes, de végétaux en décomposition. Toujours, on le lit avec ferveur et lorsque l’on referme le livre on est presque déçu d’avoir déjà terminé. Même les longueurs (et il y en a dans « Courlande ») nous donnent l’impression de devenir l’un de ses intimes. C’est peut-être là son trait de génie, on passe un bon moment en compagnie d’un ami. Il emmène le lecteur à sa suite en voyage (ici dans une région de Lettonie), il est nos yeux, notre odorat. Avec un ravissement sans cesse renouvelé, nous l’écoutons nous parler de ce qu’il voit, des gens qu’il rencontre, des idées qui inondent son cerveau.
« Courlande » c’est une histoire d’amour, c’est un reportage journalistique, c’est une magistrale leçon de géographie, de géopolitique, c’est une réflexion sur l’Histoire, sur les hommes qui font ou qui subissent l’Histoire.
Avant Kauffmann, je suis allé en Lettonie. J’ai visité des châteaux construits par les barons germano-baltes raffinés et décadents qui vivaient en marge d’une population lettone exploitée, méprisée et qui les haïssait non sans raisons. J’ai vu les effets de la sournoise colonisation de peuplement imposée par les soviétiques (35% au moins des habitants sont des russes devenus apatrides qui vivent chichement dans ce pays où ils espèrent encore retrouver le haut du pavé comme avant la chute du communisme), j’ai longuement visité Riga, capitale de l’Art Nouveau, comme Kauffmann je me suis souvent retourné sur ces belles grandes jeunes filles blondes au teint clair, comme lui j’ai vu un pays romantique avec ses forêts sombres, ses dunes monotones, ses plages désertes, le gris de la Baltique, la campagne où dominent les couleurs noir et blanc comme dans un film de Dreyer.
Mon regret ? Ne pas avoir eu « Courlande » dans mon sac lors de mon périple. J’aurais aimé le lire le soir à l’hôtel. Il se dégage de ce vagabondage littéraire (Stendhal n’est jamais bien loin) un charme suranné, un je ne sais trop quoi de mélancolique qui vous attache au pays autant qu’à ses personnages. Des Kerguelen aux Landes en passant par Sainte-Hélène et maintenant la Lettonie, Kauffmann n’en finit pas de regarder vivre le monde, ce qui lui fut refusé pendant sa longue détention. Il se rattrape aujourd’hui, pour notre plus grand bonheur.
DANG
Encore une fois Jean-Paul Kauffmann nous fait voyager. Après les Iles Kerguelen et Sainte-Hélène, nous voici dans les pays Baltes et plus exactement dans une région essentiellement basée en Lettonie. Il part là-bas pour des raisons professionnelles, il est journaliste tout de même mais aussi personnelles, missionné par un cousin, mais aussi sentimentale (se rappeler une ex copine Courlandaise connue au canada).
Ce livre "Courlande" n'est pas un livre d'aventures au sens où on l'entend habituellement. C'est un écrit fidèle à ce que je connais de Jean-Paul kauffmann puisqu'il nous emmène dans le sillage de ses propres découvertes. Nous nous baladons de châteaux en rencontres, de visites en désillusions. Nous apprenons l'histoire de cette terre de Courlande qui a privilégié un moment le commerce extérieur et la construction navale, grâce à son Duc de Courlande, qui a même implanté des comptoirs lointains. Le joug soviétique a anéanti le particularisme de cette région.
Nous captons à travers la visite du cimetière tout le drame qu'ont pu vivre des étrangers et notamment les "malgré-nous", ces alsaciens enrôlés de force dans la Wehrmach.
Mais l'intérêt des livres de JP Kauffmann réside aussi dans toutes les autres facettes du pays qu'il nous offre : la musique avec les "douina", mélopée chantée lors des célébrations de la Saint Jean, la peinture, les auteurs dont Keyserling (j'aimerais en lire un) et fidèles à ses amours, il exerce ses papilles en dégustant des vins de la vallée de l'Abava, la "Suisse de Courlande". (je viens de découvrir avec plaisir que c'est lui qui a écrit un livre passionnant sur le château yquem, livre lu il y a une dizaine d'années dont je cherchais l'auteur).
Il nous parle aussi de l'indicible, de ce qu'il perçoit des habitants."ici on tient la timidité pour une vertu", de l'accueil souvent froid. Il nous surprend aussi par sa ténacité à comprendre, à forcer les portes des sites fermés, à se rendre sur place pour contempler et sentir même s'il n'y a pas grand chose à voir. Et puis l'âme de ce pays ne se comprenant qu'à la saison la plus rude, l'hiver ; Ainsi, il prolonge son séjour pour se mettre dans les mêmes conditions que certains auteurs. Bref dans ce livre on retrouve un JP kauffmann soucieux de comprendre et de nous faire ressortir l'essentiel, pas forcément visible dans ce pays. Il n'y a rien d'extraordinaire ici. Tout est ténu, de l'ordre du ressenti. D'aucuns pourraient dire qu'il s'est perdu dans les confins des Pays Baltes. Il 'en est rien. Je reconnais certaines longueurs notamment historiques mais je suis mauvais juge n'étant pas férue d'Histoire. Je retrouve l'auteur que j'aime, curieux, affable et sensible qui sait raconter l'indéfinissable.
THAIS