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7 février 2010

"LE FEU FOLLET" ET "GILLES" DE P. DRIEU LA ROCHELLE

Petits billets que j'ai écrit ailleurs il y a quelques temps déjà et que j'ai retrouvés. Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945) est plus connu pour ses idées extrémistes.  Néanmoins, ces deux livres sont  du point de vue littéraire à mon sens excellents.

lefeufolletPrésentation de l'éditeur :

"Maintenant, il savait tout le prix de Dorothée. Au fond de lui-même, il croyait qu'il avait gardé un pouvoir sur elle et qu'il pouvait la reprendre, si enfin il s'en donnait la peine. Et il ne pouvait pas croire que l'émoi qu'il ressentait ne fût pas communicatif. Elle avait l'air si bon, sur cette photo. Sa bouche répétait ce que disaient les yeux : une tendresse timide. Ses seins frêles disaient encore la même chose, et sa peau qui fuyait sous ses doigts, ses mains friables."

C'est une bourrasque que l'on reçoit, le souffle d'un écorché vif, d'un drogué dont la sensibilité à fleur de peau recherche désespérément une bouée qui de toute façon ne le mènera pas aux rivages de la félicité. En quête d'argent, de femmes et de drogue, il est condamné à se perdre dans l'océan de sa médiocrité, et à sombrer.

Ce livre est douloureux mais magnifique !
Douloureux car on aimerait bien faire quelque chose pour lui et le sortir de cette impasse ;
Magnifique car Drieu nous fait si bien partager son émotion que l'on en est soi-même retournée.
Vous comprendrez que j'ai adoré ce livre, que je ne peux en dire plus, car le ressenti est presque physique.

gilles

Présentation de l'éditeur

Je ne puis plus aimer une femme. Je vais partir. Torrents de larmes, sanglots, spasmes, râles, agonie, mort, autre veillée funèbre. Femmes mortes. Dora, au loin, qu'étaient ses jours et ses nuits ? Assez. Femmes mortes. Il était mort aux femmes. Il attendit une heure. Le sanglot de Berthe ne finissait pas. Il se raidissait pour ne rien dire. Pas un mot. Il regardait autour de lui ce charmant décor, mort comme celui de sa chambre avec Pauline.

La quintessence du livre de Drieu repose pour moi sur deux idées essentielles sa méthode et sa passion.

Sa méthode à mon sens, c'est l'idée que quel que soit le moment de sa vie, les prémices de toute relation ou action se fondent sur une intuition. Il pressent quelque chose qui devient une évidence et il agit en conséquence, avec passion. Puis il analyse, il décortique et j'ai vraiment aimé l'acuité de sa perception.
- sur le fond il le fait avec droiture, sans concession ni pour lui-même, ni pour les autres.
- sur la forme, il le fait avec justesse, en défrichant la situation et en effeuillant les sentiments.

Sa recherche, c'est celle de la passion, de la perfection
- en politique, il recherche un homme fort, un leader (que ce soit à l'extrême gauche ou extrême droite)
- en amitié et en amour, il recherche la passion dévorante, la perfection.
quel programme !

Comme vous le constatez, ce n'est pas l'idée de la décadence, de l'aboulie de la société ou le contexte historico-politique qui m'a intéressée mais l'homme, sa façon de réfléchir, de percevoir le monde hors de la vie réelle. Son monde étant uniquement celui du défrichage des sentiments et de l'épaisseur de l'âme.

Néophyte que je suis, je me pose cependant certaines questions :

- en politique, il évoque son idéal de parti comme suit :

"Ce serait notre parti à tous, un parti qui serait national sans être nationaliste, qui romprait avec tous les préjugés et les routines de la droite sur ce chapitre, et un parti qui serait social sans être socialiste qui réformerait hardiment, mais sans suivre l'ornière d'aucune doctrine. J'ai toujours pensé que ce siècle était un siècle de méthodes et non de doctrines".

Mes piètres connaissances en histoire et en politique y sont sûrement pour quelque chose mais je m'interroge sur son idéal de parti

* un visionnaire pour le début du XXIè siècle ?  :-)    ou
* un indécis du genre bisounours (ni-ni) ? je n'y crois pas car cette possibilité n'est pas en adéquation à sa recherche de passion, de jusqu'au-boutisme.

- Gilles aime les femmes : je ne parle pas de la collection de femmes destinée à assouvir sa libido active. Je parle des quelques femmes qu'ils a aimées et qui ont compté même après leur séparation.
Je ne voudrais pas mal interpréter les sentiments amoureux de ce personnage complexe. Néanmoins, j'ai le sentiment qu'il y a toujours un décalage entre sa vision "intellectuelle" de la personne aimée et sa perception amoureuse. Autrement dit, il met tellement la perfection de l'esprit, du corps, du "être", au firmament de sa relation que très vite, il ne peut qu'être déçu.
Et j'ai l'impression que  ce déséquilibre très marqué chez le personnage de Gilles est une vision très masculine. Les femmes seront plus dans l'équilibre, dans la synthèse, dans l'harmonie sans jugement aucun bien sûr !  :-)
Je m'interroge donc sur la recherche de perfection. Respecter dans sa quête de femme une sorte de "cahier des charges", c'est forcément se condamner à l'échec dans le couple. Bien vaste sujet...


Gilles me permet de me poser certaines questions à partir de certaines citations

Amitié : "C'était justement dans l'ordre de la durée qu'il avait cru que l'amitié pouvait surpasser l'amour. L'amour fait une concurrence déloyale à l'amitié à mesure qu'on avance en âge, en l'assimilant."

De prime abord, j'étais convaincue par cette assertion, et l'idée de comparer deux fonctions dont l'abscisse serait le temps et l'ordonnée une échelle de valeur, ces deux fonctions se rejoignant, me plaisait. Mais maintenant je ne vois pas comment on peut évaluer quantitativement cette ordonnée ; mesurer la passion, l'attachement, l'intérêt, l'attraction corporelle, toutes ces valeurs qui se conjuguent et qui sont autant de paramètres. Trop d'équations qui m'échappent...

Femme : "Une jolie femme c'est dans la vie un poids mort".

Voici donc mon impression sur ces livres et donc mon approche de Drieu avec comme limites :
- ce sont les deux seuls livres que j'ai lus de lui
- j'ai trouvé quelques longueurs dans "Gilles" et j'ai sûrement omis plein d'éléments
- J'ai complètement obéré tous les aspects politiques et historiques qui ne m'intéressent pas outre mesure.

En conclusion, ce qui m'a plus, c'est le cheminement de cet homme, c'est l'idée selon laquelle en fonction de notre environnement, de nos relations et notre sensibilité, toute personne évolue et qu'il est stupide d'attribuer des étiquettes comme nous savons si bien le faire. Enfermer les hommes dans une catégorie, c'est imaginer les connaître à partir d'une peinture alors qu'il faudrait tout un film pour peindre la diaprure de leur vie.

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Commentaires
T
Merci pour toutes ces précisions. Bon dimanche !
D
Je suis en train de lire "Retour sur la question juive" d'Elisabeth Roudinesco. Elle s'étend longuement sur l'idée de "dégénérescence" et de "décadence", apparue vers la fin du 19e siècle et qui devient une obsession au début du 20e siècle et entre les deux guerres. Ce sentiment est aussi répandu en Allemagne et Autriche qu'en France. Curieusement on le trouve aussi largement répandu chez les juifs sionistes qui accusent les juifs assimilés de dégénérescence et de décadence. On n'a pas idée aujourd'hui de ce que ce sentiment pouvait véhiculer d'angoisses et de frustrations. Je comprends mieux l'insistance que met Drieu à parler de la décadence de la France. En fait il est un pur produit de son époque.<br /> On peut dire aussi qu'il y a plusieurs Drieu : le romancier parfois éblouissant (Le Feu Follet), l'homme politique à la remorque de Doriot et plutôt mal à l'aise, l'analyste politique surprenant de modernité et de prescience de ce qui va arriver, le témoin de son temps...<br /> Le romancier restera à la postérité, au moins dans un petit cercle d'amateurs de cette période de l'entre-deux guerres où les gens étaient si raffinés et décadents, le témoin de son temps sera précieux pour ceux qui voudront connaître les ressorts cachés d'une époque.<br /> PS : je me souviens très bien de la conversation chez Poly, début d'une longue correspondance sur l'internet et les blogs.
T
Je suis vraiment désolée pour cette réécriture d'un commentaire. je ne comprends pas ce qui a pu arriver.<br /> Je ne sais pas si tu as reconnu le billet (enfin un peu épuré) que j'avais écrit chez Poly et dont nous avions discuté avec Anastasie je crois.C'est toi qui m'avais donné envie de lire Drieu.Tu cherchais dans quel livre se trouvait une citation relative aux étrangers je crois ; tu t'étais adressé à une association je crois pour la questionner.Je ne sais pas si un jour tu as eu une réponse.<br /> <br /> Oui le feu follet est une bourrasque !je ne comprends pas que ce livre soit méconnu.<br /> et "Gilles" un peu longuet mais dense.<br /> Comme d'habitude, tu ajoutes des arguments très intéressants inhérents au contexte historique et je t'en remercie. J'aime bien l'idée de poursuivre uen recherche pour mieux connaître un personnage littéraire malgré l'étiquette qui lui colle à la peau.<br /> J'ai lu "l'homme à cheval" que je n'ai pas réussi à finir. Et "rêveuse bourgeoisie" est toujours dans ma bibliothèque.Et je n'ai pas vu le film de Louis Malle...<br /> A propos de "la route" je n'ai pas vu le livre, ni vu le film. Mais je vais m'y mettre [;)]<br /> Tiens cela me fait penser que je devrais faire un billet sur un livre de Jouhandeau pour que tu puisses nous révéler l'homme que tu as connu. c'était tellement intéressant quand tu nous en parlais :)<br /> Bon week endc[:)]
D
Désolé pour les fautes d'orthographe Thaïs, mais après avoir perdu quatre fois mon commentaire je n'ai pas eu le courage de me relire.
D
Je t'ai déjà envoyé deux longs commentaires mais ils se sont perdus quelque part dans les méandres de l'internet.<br /> Je vais essayer de résumer l'essentiel de ce que je voulais dire.<br /> Tout d'abord je voudrais te féliciter Thaïs pour avoir eu le courage de lire et de commenter un écrivain maudit.<br /> La pensée unique entend occulter Drieu et oublie un peu vite qu'il sera essentiel de le connaître pour celui qui voudra comprendre comment des écrivains doués, fins et cultivés, patriotes intransigeants, ont basculé dans le fascisme avant-guerre puis dans la collaboration sous Vichy.<br /> Ces"romantiques" comme les appelait Maurras qui se désolait de les voir quitter "l'Action Française" et le mouvement royaliste pour le fascisme avaient forcément des motivations qu'il est intéressant de comprendre. D'ailleurs il faudrait avant tout comprendre pourquoi ils étaient à "l'Action Française" avant de basculer dans le fascisme, et je ne suis pas loin de penser que c'était par romantisme aussi. <br /> Drieu est au coeur de ce mouvement. Ce qu'il dit ne laisse donc pas indifférent. <br /> Son obsession est la décadence de la France. Il y voit une raison de faire une grande Europe, ce qui en fait un précurseur car l'idée n'était pas répandue à l'époque. Pour ceux qui ne veulent pas le lire à cause de son passé je voudrais dire que Drieu n'était pas un salaud. <br /> Il a pris de grands risques pour faire sortir du camp de Drancy sa première femme, internée avec les enfants qu'elle avait eu d'un autre mariage. Intervenir pour faire libérer des juifs était périlleux à l'époque même pour un écrivain aussi célèbre que Drieu. Il fit aussi libérer Willy, le mari de Colette. <br /> Par ailleurs ce qu'il écrivit dans les journaux de la collaboration est constitué à 95% des critiques littéraires. Il fut le premier par exemple à faire une brillante revue de "Huis Clos". On a oublié que J.P Sartre n'avait pas hésité à faire jouer cette pièce en plein Paris occupé. On ne lui en fit pourtant pas grief après-guerre.<br /> J'oserai comparer Drieu à l'un de ses collègues journalistes à "Je suis Partout", Claude Roy, qui avait suivi le même chemin que lui mais qui eut la bonne idée de changer de camp en 1943 et de s'inscrire au parti communiste à la Libération. Claude Roy ne fut jamais critiqué pour sa participation pourtant active à la presse collaborationniste. Drieu aurait pu suivre son exemple. Ce n'était pas dans sa nature même s'il ne se faisait plus guère d'illusions sur l'avenir du régime qu'il avait soutenu.<br /> Homme excessif, fasciné par la force, Drieu finit sa vie en admirant les soviétiques, on le sait par son journal intime. Il ne le révéla pas, ce qui lui aurait évité les poursuites dont il fut l'objet en 1944-45.<br /> Il préféra se donner la mort.Il a donc payé le prix fort. Reste un immense écrivain. <br /> Je suis moi-même peu attiré par son style. Son engagement aux côtés de Doriot reste aussi à mes yeux un mystère. Comment ce dandy raffiné put-il s'entendre avec le tribun grossier et fort en gueule? Incompréhensible sauf si on essaye de comprendre l'homme derrière l'écrivain. <br /> Il faut constater que le Drieu qui parle de politique est loin de valoir le Drieu romancier. Car Drieu a des choses à dire, des tas de choses à dire.<br /> Le "Feu Follet" est un roman d'une incroyable actualité. Le thème de la drogue était si peu à la mode qu'en 1964 quand Louis Malle en fit le beau film que l'on sait, avec les merveilleux Maurice Ronet et Jeanne Moreau, il remplaça la drogue par l'alcoolisme.<br /> J'en profite pour dire que la fameuse antinomie entre film et oeuvre littéraire n'a pas lieu d'être avec le Feu Follet. J'ai vu le film avant de lire le livre et sans ce film je n'aurais pas lu le roman. Cela ne m'est arrivé depuis que pour "La Route" dont j'aimerais bien que tu nous parles un jour, Thaïs. <br /> Pour revenir à Drieu je partage l'analyse que tu fais de "Gilles", mais il y a bien plus encore dans ce roman très riche et un peu long, c'est vrai. <br /> On y trouve dans le fond tous les thèmes chers à Drieu: Drieu et les femmes, Drieu et la décadence, Drieu et la guerre, Drieu et le pacifisme, Drieu partagé entre lâcheté et héroïsme, Drieu et la bourgeoisie, Drieu et l'anticonformisme. <br /> Son idée d'un parti nouveau n'est pas, je crois, une vue sortie d'un esprit fumeux. J'en veux pour preuve que c'est ce que De Gaulle essaya de faire avec le RPF puis lors de son retour aux affaires. <br /> Quand Drieu parle de la nouvelle aristocratie faite d'artisans de talent, de bons intellectuels, on aimerait qu'il en dise davantage sur cette "méritocratie" qu'il appelle de ses voeux, de même on voudrait savoir ce qu'il veut dire lorsqu'en parlant de son héros il écrit, avec regret, "il n'avait pas d'enfants". Mais le livre est déjà bien long. Il faudra peut-être se résigner à relire ses autres bouquins pour avoir une réponse : "L'homme couvert de femmes", "Rêveuse bourgeoisie", "La comédie de Charleroi", et peut-être même "L'homme à cheval" dont on dit que c'est son chef d'oeuvre et qui m'a plutôt déçu. <br /> Je persiste à penser que son chef d'oeuvre c'est "Le Feu Follet". C'est court, c'est dense, c'est moderne. On prend un coup de poing en pleine figure et on pense au personnage pendant des jours : "je meurs parce que vous ne m'aimiez pas, je meurs parce que je ne vous aimais pas, vous ne pensiez jamais à moi, vous ne m'oublierai jamais" (je cite de mémoire, c'est sûrement dit autrement, mais c'est puissant). Merci donc Thaïs de m'avoir donné envie de relire ce grand roman.
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