"LE FEU FOLLET" ET "GILLES" DE P. DRIEU LA ROCHELLE
Petits billets que j'ai écrit ailleurs il y a quelques temps déjà et que j'ai retrouvés. Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945) est plus connu pour ses idées extrémistes. Néanmoins, ces deux livres sont du point de vue littéraire à mon sens excellents.
Présentation de l'éditeur :
"Maintenant, il savait tout le prix de Dorothée. Au fond de lui-même, il
croyait qu'il avait gardé un pouvoir sur elle et qu'il pouvait la
reprendre, si enfin il s'en donnait la peine. Et il ne pouvait pas
croire que l'émoi qu'il ressentait ne fût pas communicatif. Elle avait
l'air si bon, sur cette photo. Sa bouche répétait ce que disaient les
yeux : une tendresse timide. Ses seins frêles disaient encore la même
chose, et sa peau qui fuyait sous ses doigts, ses mains friables."
C'est une bourrasque que
l'on reçoit, le souffle d'un écorché vif, d'un drogué dont la
sensibilité à fleur de peau recherche désespérément une bouée qui de
toute façon ne le mènera pas aux rivages de la félicité. En quête
d'argent, de femmes et de drogue, il est condamné à se perdre dans
l'océan de sa médiocrité, et à sombrer.
Ce livre est douloureux mais magnifique !
Douloureux car on aimerait bien faire quelque chose pour lui et le sortir de cette impasse ;
Magnifique car Drieu nous fait si bien partager son émotion que l'on en est soi-même retournée.
Vous comprendrez que j'ai adoré ce livre, que je ne peux en dire plus, car le ressenti est presque physique.
Présentation de l'éditeur
Je ne puis plus aimer une femme. Je vais partir. Torrents de larmes, sanglots, spasmes, râles, agonie, mort, autre veillée funèbre. Femmes mortes. Dora, au loin, qu'étaient ses jours et ses nuits ? Assez. Femmes mortes. Il était mort aux femmes. Il attendit une heure. Le sanglot de Berthe ne finissait pas. Il se raidissait pour ne rien dire. Pas un mot. Il regardait autour de lui ce charmant décor, mort comme celui de sa chambre avec Pauline.
La quintessence du livre de Drieu repose pour moi sur deux idées essentielles sa méthode et sa passion.
Sa
méthode à mon sens, c'est l'idée que quel que soit le moment de sa vie,
les prémices de toute relation ou action se fondent sur une intuition.
Il pressent quelque chose qui devient une évidence et il agit en
conséquence, avec passion. Puis il analyse, il décortique et j'ai
vraiment aimé l'acuité de sa perception.
- sur le fond il le fait avec droiture, sans concession ni pour lui-même, ni pour les autres.
- sur la forme, il le fait avec justesse, en défrichant la situation et en effeuillant les sentiments.
Sa recherche, c'est celle de la passion, de la perfection
- en politique, il recherche un homme fort, un leader (que ce soit à l'extrême gauche ou extrême droite)
- en amitié et en amour, il recherche la passion dévorante, la perfection.
quel programme !
Comme
vous le constatez, ce n'est pas l'idée de la décadence, de l'aboulie de
la société ou le contexte historico-politique qui m'a intéressée mais
l'homme, sa façon de réfléchir, de percevoir le monde hors de la vie
réelle. Son monde étant uniquement celui du défrichage des sentiments
et de l'épaisseur de l'âme.
Néophyte que je suis, je me pose cependant certaines questions :
- en politique, il évoque son idéal de parti comme suit :
"Ce serait notre parti à tous, un parti qui serait national sans être nationaliste, qui romprait avec tous les préjugés et les routines de la droite sur ce chapitre, et un parti qui serait social sans être socialiste qui réformerait hardiment, mais sans suivre l'ornière d'aucune doctrine. J'ai toujours pensé que ce siècle était un siècle de méthodes et non de doctrines".
Mes piètres connaissances en histoire et en politique y sont sûrement pour quelque chose mais je m'interroge sur son idéal de parti
* un visionnaire pour le début du XXIè siècle ? :-) ou
*
un indécis du genre bisounours (ni-ni) ? je n'y crois pas car cette
possibilité n'est pas en adéquation à sa recherche de passion, de
jusqu'au-boutisme.
- Gilles aime les femmes : je ne parle pas de
la collection de femmes destinée à assouvir sa libido active. Je parle
des quelques femmes qu'ils a aimées et qui ont compté même après leur
séparation.
Je ne voudrais pas mal interpréter les sentiments
amoureux de ce personnage complexe. Néanmoins, j'ai le sentiment qu'il
y a toujours un décalage entre sa vision "intellectuelle" de la
personne aimée et sa perception amoureuse. Autrement dit, il met
tellement la perfection de l'esprit, du corps, du "être", au firmament
de sa relation que très vite, il ne peut qu'être déçu.
Et j'ai
l'impression que ce déséquilibre très marqué chez le personnage de
Gilles est une vision très masculine. Les femmes seront plus dans
l'équilibre, dans la synthèse, dans l'harmonie sans jugement aucun bien
sûr ! :-)
Je m'interroge donc sur la recherche de perfection.
Respecter dans sa quête de femme une sorte de "cahier des charges",
c'est forcément se condamner à l'échec dans le couple. Bien vaste
sujet...
Gilles me permet de me poser certaines
questions à partir de certaines citations
Amitié : "C'était justement dans l'ordre de la durée qu'il avait cru que l'amitié pouvait surpasser l'amour. L'amour fait une concurrence déloyale à l'amitié à mesure qu'on avance en âge, en l'assimilant."
De prime abord, j'étais convaincue par cette assertion, et l'idée de comparer deux fonctions dont l'abscisse serait le temps et l'ordonnée une échelle de valeur, ces deux fonctions se rejoignant, me plaisait. Mais maintenant je ne vois pas comment on peut évaluer quantitativement cette ordonnée ; mesurer la passion, l'attachement, l'intérêt, l'attraction corporelle, toutes ces valeurs qui se conjuguent et qui sont autant de paramètres. Trop d'équations qui m'échappent...
Femme : "Une jolie femme c'est dans la vie un poids mort".
Voici donc mon impression sur ces livres et donc mon approche de Drieu avec comme limites :
- ce sont les deux seuls livres que j'ai lus de lui
- j'ai trouvé quelques longueurs dans "Gilles" et j'ai sûrement omis plein d'éléments
- J'ai complètement obéré tous les aspects politiques et historiques qui ne m'intéressent pas outre mesure.
En conclusion, ce qui m'a plus, c'est le cheminement de cet homme, c'est l'idée selon laquelle en fonction de notre environnement, de nos relations et notre sensibilité, toute personne évolue et qu'il est stupide d'attribuer des étiquettes comme nous savons si bien le faire. Enfermer les hommes dans une catégorie, c'est imaginer les connaître à partir d'une peinture alors qu'il faudrait tout un film pour peindre la diaprure de leur vie.